Les 7 défis de la nouvelle réglementation MiFIDII sur les préférences en matière de durabilité

MiFIDII, SFDR et préférences ESG, quelques éléments de contexte

Partant du constat de l’urgence des enjeux de développement durable, la Commission Européenne a promulgué ces dernières années une série de directive pour accélérer la transition du système financier vers une économie plus verte.

Dans ce cadre, la Commission Européenne a publié un acte délégué en août 2021 rendant obligatoire la prise en compte préférences des investisseurs en matière de durabilité dans les services financiers de type conseil ou gestion de portefeuille.

Cet acte s’inscrit dans le cadre de la règlementation MiFIDII (MiFID II, Markets in Financial Instruments Directive II). Son entrée en vigueur est prévue pour 2022.

Ce nouveau règlement européen résulte de plusieurs consultations de la Commission Européenne réalisées dans les années précédentes et qui ont identifié que les deux principaux obstacles à la vente de produit ESG étaient le  :

  • Manque de transparence des informations disponibles sur les instruments financiers durables, créant un risque d’éco-blanchiment (greenwashing);
  • Manque d’éducation en ce qui concerne les incidences sur le risque et la performance.

L’insertion des préférences en matière de durabilité dans les tests d’adéquation

Actuellement et à des fins de protection de l’investisseur, la règlementation MiFID II impose aux entreprises d’investissement l’évaluation de l’adéquation entre les profils des investisseurs et les produits recommandés.

Ce test d’adéquation consiste en des questions sur les connaissances et l’expérience financières du client, sa capacité à supporter des pertes, ses objectifs financiers, son horizon d’investissement et sa tolérance au risque.

L’utilisation de la finance comportementale est fortement recommandée pour capturer ces informations, afin d’éviter les biais cognitifs et s’assurer que les produits recommandés sont pleinement en ligne avec les attentes et le profil des investisseurs.

Ce questionnaire d’adéquation n’impose pas pour le moment de prendre en compte, au-delà des objectifs financiers, des objectifs non financiers tels que les préférences ESG. Cette pratique ne facilite pas la sensibilisation des investisseurs et la vente de produits plus durables.

Cet acte délégué inscrit donc l’évaluation des préférences en matière de durabilité dans les tests d’adéquation MiFIDII afin de :

– promouvoir la vente de produits ESG et durables

– lutter contre l’éco-blanchiment

– protéger l’investisseur de ventes de produits qui ne seraient pas en ligne avec ses valeurs.

La classification SFDR des produits financiers durables

La première étape pour que les conseillers financiers puissent recommander des instruments financiers alignés avec les préférences extra-financières des clients est de classer ces derniers en fonction de leur durabilité.

La règlementation SFDR, qui précède cet acte délégué, a déjà donné une première classification des produits financiers durables (principalement des fonds d’investissement) en trois catégories :

  • Article 6 : produits financiers sans objectif environnemental ou social particulier
  • Article 8 : produits financiers qui peuvent intégrer différentes stratégies, y compris des stratégies qui, bien que se réclamant du respect de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), d’investissements socialement responsables (ISR) ou d’une orientation durable, sont susceptibles de manquer de substance en matière de durabilité.
  • Article 9 : produits financiers avec pour objectif la réalisation d’investissements durables ne causant aucun préjudice important, tel que définis à l’article 2, point 17), du SFDR

L’approche MiFID II de la classification des produits financiers durables

Comme détaillé précédemment, la définition SFDR des produits de type article 8 est assez large et peut inclure des produits susceptibles de manquer de substance en matière de durabilité.

Par ailleurs, SFDR couvre principalement des produits de type fonds d’investissement, alors que MiFID II a pour vocation de couvrir tout type d’instrument financier faisant l’objet d’un conseil ou d’une gestion de portefeuille.

L’acte délégué restreint donc la définition des produits pouvant être considérés comme durables afin de s’assurer que seuls des produits avec une certaine substance en la matière puissent être recommandés aux clients cherchant à avoir un impact dans leurs investissements.

En ce sens, MiFID II n’adopte pas exactement la classification SFDR avec une approche plus stricte.

Selon l’acte délégué, les instruments financiers peuvent ainsi être considérés comme durables:

  1. S’ils ont investi une proportion minimale dans :
  • Soit dans des activités conformes à la règlementation sur la taxinomie (article 3) ;
  • Soit dans des investissements durables au sens de l’article 2, point 17), du SFDR ;

Cette proportion minimale est à déterminer par le client.

2. Ou si leurs activités prennent en compte les principales incidences négatives sur la durabilité, les externalités négatives qu’un investissement peut avoir sur l’environnement ou la société.

Les éléments démontrant cette prise en compte sont à déterminer par le client.

“préférences en matière de durabilité”: le choix d’un client, ou d’un client potentiel, d’intégrer ou non un ou plusieurs des instruments financiers suivants dans son investissement, et dans quelle mesure:

(a)un instrument financier qui est investi dans des investissements durables sur le plan environnemental au sens de l’article 2, point 1), du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil* dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel;

(b)un instrument financier qui est investi dans des investissements durables au sens de l’article 2, point 17), du règlement (UE) 2019/2088 du Parlement européen et du Conseil** dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel;

(c)un instrument financier qui prend en compte les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui démontrent cette prise en compte étant déterminés par le client ou le client potentiel;

Défi 1 : La réconciliation acrobatique des deux classifications ESG

Documenter en toute transparence les impacts positifs et négatifs des instruments financiers représente en soi un défi majeur pour les institutions financières.

La donnée extra-financière reste encore difficilement accessible pour les fonds, les obligations et les actions cotées, et presque impossible pour le private equity ou l’immobilier.

Cet exercice est d’autant plus difficile pour ces derniers produits qu’aucune méthodologie ou taxinomie n’est pour le moment donnée par le régulateur, contrairement aux fonds d’investissement qui sont encadrés par SFDR.

A ce défi majeur s’ajoute l’enjeu de réconcilier une approche différente entre SFDR et MiFID II de la classification des produits ESG.

Dans le premier cas, les fonds seront classés selon la distinction entre article 6, 8 et 9.

Dans le second cas, les instruments financiers seront regroupés en fonction de :

  • leur prise en compte des principales incidences négatives sur les aspects environnementaux, sociaux, de gestion de personnel ou de gouvernance, ainsi que l’engagement connexe d’éliminer, à terme, ces incidences négatives
  • leur proportion d’investissements durables (l’article 2, point 17, SFDR) 
  • leur proportion d’investissement dans la taxinomie (article 3) 

Les deux classifications devraient donc se recouper donc sur la première (article 9) et la dernière (article 6) catégorie, mais pas sur la seconde (article 8).

Certains produits articles 8 ne seront notamment pas considérés comme durables sous MiFID II, ce qui sera un enjeu de taille pour les institutions financières.

Les instruments financiers qui promeuvent des caractéristiques environnementales ou sociales, sans comporter une certaine proportion d’investissements durables ou d’investissements dans des activités conformes à la taxinomie, ou qui ne tiennent pas compte des principales incidences négatives, ne pourront pas être recommandés aux clients ou clients potentiels sur la base de leurs préférences individuelles en matière de durabilité.

Il restera possible de les recommander à l’issue du test d’adéquation, mais pas en tant qu’instruments financiers répondant aux préférences individuelles du client en matière de durabilité.

Exemple 1 (extrait de l’acte délégué)

Les «instruments financiers visant une proportion minimale d’investissements durables» incluront systématiquement les produits financiers visés à l’article 9 du règlement sur le financement du développement durable, ainsi que les produits financiers visés à l’article 8 du règlement SFDR, à condition que ces derniers soient, au moins dans une certaine mesure, consacrés à des investissements durables.

Exemple 2 (extrait de l’acte délégué)

Les instruments financiers présentant des caractéristiques environnementales ou sociales, qui sont entre autres fondés sur une stratégie d’exclusion et qui peuvent entrer dans le cadre des préférences en matière de durabilité, à condition d’être, au moins dans une certaine mesure, porteurs d’investissements durables ou de comporter la preuve qu’ils prennent en compte et éliminent ou atténuent les principales incidences négatives, et à condition d’être en adéquation avec ce qu’aura déterminé le client ou client potentiel en termes de proportions minimales d’investissement ou, selon le cas, d’éléments démontrant la prise en compte de ces incidences sur les facteurs de durabilité.

Défi 2 : Donner au client la possibilité de choisir la proportion d’investissement durable et les éléments démontrant la prise en compte des externalités négatives

Un second défi qui découle du premier est de non seulement obtenir l’information pour la classification des produits financiers, mais également de donner la liberté aux clients de déterminer la proportion d’investissement durable ou d’alignement à la taxinomie souhaité ainsi que les éléments permettant de démontrer la prise en compte des externalités négatives.

Etant donné la pauvreté des informations et de l’offre ESG actuelle, combinée au manque d’éducation des particuliers sur le sujet, demander de telles informations aux clients risquent non seulement de ne pas être compris par le client, mais aussi de ne correspondre à aucune offre ESG disponible.

Défi 3 : L’éducation financière des clients sur les sujets de durabilité

Comme l’ont souligné les différentes consultations de la Commission Européenne ces dernières années, les investisseurs européens sont très peu informés sur les sujets de finance durable.

Selon un sondage réalisé par Neuroprofiler sur un large échantillon d’investisseurs européens, 13% seulement des sondés étaient familiers avec la notion de finance durable. 5% en ont entendu parlé par leur conseiller financier.

Evaluer l’appétence du client sur des sujets aussi techniques que l’ESG, la notion d’objectif d’investissement durable ou encore de PAI (Principle of Adverse Impact) sera une tâche difficile pour institutions financières et nécessitera un véritable effort pédagogique.

Défi 4 : Evaluer les préférences ESG des clients sans alourdir le questionnaire MiFID II

Les questionnaires MiFID II actuels sont considérés par la plupart des institutions financières comme laborieux pour le client et le conseiller.

Un troisième défi pour les sociétés d’investissement sera donc d’intégrer un complément sur les préférences ESG sans alourdir l’expérience utilisateur.

Nous constatons à ce titre chez Neuroprofiler que beaucoup de nos clients s’orientent vers la création d’un parcours de profilage ESG à part, indépendant du parcours MiFID II classique.

Si cette approche permet de ne pas alourdir les questionnaires de profilage d’investissement existants et d’éviter l’épineuse question de l’intégration informatique, elle ne résout pas le problème de la combinaison nécessaire en fin de parcours entre profil de risque, connaissances financières et profil ESG afin de recommander des produits financiers en ligne avec les nouvelles exigences MiFID II.

Défi 5 : Evaluer les préférences ESG de manière fiable et non intrusive

L’évaluation des profils de risque est obligatoire dans la plupart des pays dans le monde pour les institutions financières depuis déjà plus de dix ans.

Les clients sont donc habitués à discuter de leur tolérance au risque ou de leur aversion à la perte avec leur conseiller financier et de trouver des questions relatives à ces sujets dans les tests d’adéquation.

Des outils basés sur la psychométrie ou la finance comportementale sont apparus pour capturer cette appétence de manière fiable.

L’ESMA a dans cette lignée publier un guide d’orientation en 2018 faisant la promotion de la finance comportementale pour mieux capturer les préférences de risque des particuliers.

A présent, les conseillers financiers devront également aborder le sujet sensible de la finance durable avec leurs clients.

Si le client s’attend à parler de risque/rendement avec son conseiller, il est moins préparé à discuter de sujets aussi personnels et parfois polémiques que le rôle de la diversité dans la gouvernance d’entreprise, l’exclusion du nucléaire ou encore la généralisation de l’énergie éolienne.

Capturer de manière fiable et non biaisée ce type d’information représentera un véritable défi pour les conseillers financiers, qui devront probablement se faire aider d’outils externes pour rendre plus neutre la capture de telles informations et éviter que le client se sente jugé.

Défi 6 : La gestion du conflit entre profil de risque, connaissances financières et préférences ESG

Dans la version précédente de MiFID II, un produit ne peut être recommandé à un client particulier s’il ne correspond pas non seulement à son préférences d’investissement, mais également à ses connaissances financières.

L’acte délégué ajoute à cette contrainte la prise en compte des préférences en matière de durabilité.

Or, l’offre de produits ESG étant encore très limitée chez la plupart des institutions financières européennes. Les produits ESG sont par ailleurs actuellement principalement des produits type action, réservés donc à des clients avec une certaine appétence pour le risque et de bonnes connaissances financières.

Il est donc à prévoir qu’un certain nombre de clients ne pourront pas obtenir des produits financiers à la fois en ligne avec leurs préférences en matière de durabilité, leur appétence au risque et leurs connaissances.

L’acte délégué apporte des éléments de réponse à cet autre défi en précisant que les facteurs de durabilité ne devraient pas prévaloir sur les objectifs d’investissement personnel du client.

Il s’ensuit que lors de l’évaluation de l’adéquation du produit, les préférences en matière de durabilité ne devraient être examinées qu’une fois défini l’objectif et le profil d’investissement du client.  

Deux cas pourraient alors se présenter :

  • Cas 1 : l’institutions financière recommande au client un produit complètement en ligne avec le profil de risque, les connaissances et les objectifs d’investissement et ESG du client
  • Cas 2 : l’institutions financière n’a pas pour le moment de tel produit. Dans ce cas, elle recommande un instrument financier en ligne uniquement avec le profil de risque, les connaissances et les objectifs d’investissement du client. Elle lui précise que ce produit ne correspond pas à ses préférences en matière de durabilité.

Dans les deux cas, la proposition financière devra être documentée via un rapport d’adéquation expliquant en quoi les recommandations adressées correspondent aux objectifs d’investissement, au profil de risque, à la capacité à supporter des pertes et aux préférences en matière de durabilité du client.

Il est nécessaire de préciser, à propos des instruments financiers qui ne sont pas éligibles au titre de préférences individuelles en matière de durabilité, que les entreprises d’investissement conservent la possibilité de les recommander, mais pas comme correspondant à de telles préférences. Afin que les clients ou clients potentiels puissent recevoir d’autres recommandations lorsqu’aucun instrument financier ne correspond à leurs préférences en matière de durabilité, ces clients devraient avoir la possibilité de modifier les informations relatives à leurs préférences dans ce domaine. Pour prévenir la vente abusive et l’écoblanchiment, les entreprises d’investissement devraient conserver un enregistrement de la décision du client et de l’explication qu’il donne de cette modification.

Défi 7 : Réactualisation des profils d’investissement des clients existants

Selon l’acte délégué, les préférences ESG des nouveaux clients devront être systématiquement évaluées à partir de fin 2022, afin de leur conseiller des produits alignés avec leurs valeurs d’investissement.

Qu’en est-il pour les clients existants ? Doit-on s’attendre à une vague majeure de réactualisation de tous les profils MIFID II et DDA des clients existants d’ici fin 2022 ?

La Commission Européenne apporte là aussi quelques éléments de réponse.

Dans le cas de clients existants pour lesquels une évaluation de l’adéquation a déjà été effectuée, les entreprises d’investissement devraient avoir la possibilité d’identifier leurs préférences individuelles en matière de durabilité lors de l’actualisation périodique suivante de cette évaluation.

Pour rappel, l’actualisation des tests d’adéquation MiFID II doivent se faire fréquemment, cette notion de fréquemment étant à discrétion du conseiller financier qui peut juger, en fonction de la typologie de produits et de clients (produit retraite, produit de trading…), la fréquence optimale de renouvellement.

En pratique, nous constatons que ces questionnaires d’adéquation sont réévalués tous les ans ou tous les deux ans, parfois plus dans le cas des assureurs-vie.