Jouons à deux petits jeux !
Jeu n°1 :
Imaginez que vous devez appuyer sur l’un de ces deux boutons :
- Si vous appuyez sur le bouton bleu, vous recevez 1 million d’euros immédiatement sur votre compte bancaire
- Si vous appuyez sur le bouton rouge, vous gagnez 5 millions d’euros dans 8 cas sur 10 et rien sinon
Sur quel bouton appuyez-vous ?
Jeu n°2 :
Maintenant, vous devez appuyer sur l’un de ces deux boutons :
- Si vous appuyez sur le bouton bleu, vous gagnez 1 million d’euros dans 5 cas sur 100 et rien sinon
- Si vous appuyez sur le bouton rouge, vous gagnez 5 millions d’euros dans 4 cas sur 100 et rien sinon
Sur quel bouton appuyez-vous ?
La majorité d’entre nous a un biais ici : nous avons tendance à appuyer sur le bouton bleu dans le premier jeu et sur le rouge dans le second.
Pourquoi est-ce un biais ?
Selon les théories classiques de la finance, nous sommes tous des investisseurs rationnels. Par conséquent, voilà ce à quoi devrait ressembler notre raisonnement dans une telle situation :
Dans le premier jeu, nous sommes certains de gagner 1 million d’€ avec le bouton bleu, alors que le bouton rouge nous rapporte en moyenne 4 millions d’€ (4 000 000 = 8/10 * 5 000 000). Un agent rationnel choisirait donc plutôt d’appuyer sur le bouton rouge.
Dans le second jeu, le bouton bleu correspond à un gain moyen de 50 000€ (50 000 = 5/100 * 1 000 000) alors que le bouton rouge correspond à un gain moyen de 200 000€ (200 000 = 4/100 * 5 000 000). Un agent rationnel choisirait donc ici encore d’appuyer sur le bouton rouge.
Nous avons cependant vu que la plupart d’entre nous choisissait le bouton bleu dans le premier jeu et le bouton rouge dans le second. Ces deux préférences sont en réalité contradictoires : nous ne sommes pas cohérents !
Ce biais est appelé biais de certitude. Il correspond au fait que notre cerveau préfère les situations dont l’issue est certaine. C’est pourquoi, dans le premier jeu, nous préférons le bouton bleu, qui nous donne la certitude d’un gain d’un million d’euros, alors que dans le second, nous sommes presque indifférents aux deux choix, il ne semble pas y avoir de « bon » choix.
Maurice Allais fut l’un des premiers à avoir cette intuition, au milieu du 20ème siècle, que l’agent économique n’était pas rationnel et a développé ce paradoxe pour le prouver théoriquement. Ce paradoxe a ainsi servi de contre-exemple au principe de rationalité défendu par les économistes classiques.
A partir de ce moment, d’autres économistes se mirent à remettre en question cette hypothèse de rationalité, comme Daniel Ellsberg, ou, plus tard, Daniel Kahneman, qui a développé une théorie très puissante sur notre processus de prise de décision. Selon lui, un biais comme celui-ci correspond à notre Système 1 – notre mode de pensée intuitif, rapide et sans effort – qui choisit un mode de décision plus rapide et efficace, en se reposant sur des raccourcis mentaux.
D’autres expériences dans divers domaines comme les neurosciences ou l’éthologie ont par la suite confirmé cette conclusion du paradoxe d’Allais. En effet, cette préférence pour la certitude n’est pas réservée aux décisions financières, et est également observée chez les primates (Fiorillo et al., 2003) ou les abeilles qui choisissent entre différentes fleurs par exemple (Real, 1991).
References :
https://theses.univ- lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2007.razgallah_ma&part=204011
“Risk, Ambiguity, and the Savage Axioms”, Daniel Ellsberg, 1961
Thinking, Fast and Slow, Daniel Kahneman, 2012
“Discrete Coding of Reward Probability and Uncertainty by Dopamine Neurons”, Christopher D. Fiorillo, Philippe N. Tobler and Wolfram Schultz, 2003
“Learning foraging tasks by bees: a comparison between social and solitary species”, Reuven Dukas and Leslie Real, 1991
Auteurs : Amélie Clavé et Tiphaine Saltini