Donner du sens à son investissement grâce à la finance comportementale

Auteurs : Tiphaine Saltini et Pierre Nelson

La nécessité d’investir pour relancer l’économie et faire face à un avenir incertain, en particulier pour la nouvelle génération

La crise du COVID-19 a ébranlé la plupart des secteurs économiques traditionnels tout en creusant durablement le déficit des Etats européens. La France a atteint un ratio d’endettement de 121% par rapport à son PIB en juin 2020, un record historique que partagent bien d’autres pays européens.

Dans ce contexte, l’investissement des particuliers devient d’autant plus indispensable, non seulement pour relancer l’économie à court terme, mais encore pour protéger – notamment la jeune génération – d’un avenir toujours plus incertain, où il ne sera sans doute plus possible de compter sur la même protection sociale ou la même dynamique du marché du travail que la génération précédente.

Donner du sens à son investissement, une nouvelle exigence des investisseurs

Le réchauffement climatique, la crise sanitaire et les tensions sociales ont accentué la prise de conscience des limites du modèle économique traditionnel fondé sur la recherche de profitabilité à court-terme.

Au-delà de la rentabilité, les investisseurs, et notamment les plus jeunes, attendent désormais de leurs investissements un impact à long-terme positif, ou a minima neutre, sur la planète et la société.

Le succès des plateformes financières collaboratives comme les plateformes de crowdfunding ou de micro-crédits responsables comme Finfrog, pour lesquelles l’impact local et social de l’investissement est mis en avant, en sont une belle illustration.

Il en va de même pour leur recherche d’emploi, où le salaire n’est par exemple plus la motivation principale, ou encore pour leur consommation, où l’origine des produits entre autres a désormais une importance majeure, au-delà du prix ou du plaisir.

L’appétence des jeunes générations pour la finance durable est en outre accrue par une méconnaissance du système financier, et une forme de méfiance, voire de défiance, vis-à-vis de ce dernier.

Entre investir dans un produit financier qui permet de préserver les ressources naturelles de manière certaine et un autre qui pourrait, dans un contexte économique incertain et selon un mécanisme mal compris et jugé malsain, être source de profitabilité, les jeunes investisseurs privilégient aujourd’hui clairement la première option.

81% des investisseurs de 25 à 34 ans veulent en savoir plus sur l’investissement responsable (KPMG, 2019) et 75% d’entre eux ont augmenté la part d’investissements responsables de leur portefeuille entre 2013 et 2018, contre seulement 53% pour les 55-64 ans (Schroders, 2018).

Une demande croissante pour l’investissement durable, une offre et une distribution encore limitées

Pour répondre à ces nouvelles attentes, les institutions financières ont commencé à développer une offre de produits financiers ayant un impact social et environnemental positif – ou neutre, a minima – sous les dénominations “ESG” (Environnement, Social, Gouvernance), “ISR” (Investissement Socialement Responsable), “finance verte”, “finance éthique” ou encore “finance durable”.

Malgré une communication active des institutions financières sur ces nouveaux produits et de très bonnes performances économiques ces derniers mois, les ventes de produits ESG restent encore bien en-deçà des attentes des investisseurs, selon une étude Peregrine de 2020.

Les raisons de cette asymétrie sont multiples.

Tout d’abord, les méthodologies de structuration des produits ESG sont complexes et encore peu normalisées bien que progressivement encadrées par le régulateur financier européen.

De nombreux labels ESG ont été créés ces dernières années par des organismes privés dont l’approche n’est pas toujours transparente et dont le vocabulaire abscons (méthode d’exclusion, best-in-class, sélection négative, méthode d’intégration…) ne facilite pas la compréhension pour les non initiés. Il est possible par exemple qu’un fonds obtienne un label ESG avec des actions d’entreprises pétrolières ou d’armement si ces dernières ont un impact environnemental ou social moins néfaste que les autres entreprises du même secteur.

Il est enfin très difficile d’aboutir à une classification unanime sur des sujets aussi subjectifs que les valeurs d’investissement. Certains secteurs, comme le nucléaire ou la promotion des syndicats de salariés, sont par exemple jugés néfastes dans certaines classifications, positifs dans d’autres.

En conséquence, cette nouvelle offre de produits reste obscure non seulement pour les investisseurs particuliers, mais également pour les conseillers financiers, qui craignent de leur côté un effet de greenwashing. Ces derniers préfèrent ainsi souvent éviter ce sujet par méconnaissance à la fois des produits existants et de l’appétence de leurs clients pour l’investissement éthique.

Selon une étude de Allianz Life en 2019, seuls 30% des investisseurs ont déjà abordé le sujet de l’investissement ESG avec leur conseiller, et ce dans seulement 31% des cas à l’initiative du conseiller.

L’exercice est d’autant plus difficile pour ces derniers que les investisseurs eux-mêmes n’ont pas toujours une idée précise de ce qu’ils recherchent en matière d’impact et à quel point ils sont prêts, ou non, à sacrifier une partie de la rentabilité – au moins à court-terme – en compensation d’un impact social ou environnemental plus important.

De nombreux biais cognitifs et jugements sociaux biaisent par ailleurs le dialogue entre conseillers et clients lorsque le sujet sensible des valeurs et des préférences sociales est abordé.

Il se peut enfin que les clients évoquent des thématiques ESG pour lesquelles aucun produit n’est encore disponible, du moins à la connaissance du conseiller, laissant ce dernier dans une situation délicate.

En résumé, et malgré une demande croissante des investisseurs, surtout des plus jeunes, pour l’investissement durable, les ventes de produits ESG restent encore très en-deçà de leur potentiel, à la fois du fait de la méconnaissance des préférences des investisseurs et de la qualité et la diversité de l’offre existante pouvant y correspondre.

Il semble toutefois possible de combler cet écart en ajoutant à la situation actuelle un chaînon capable d’évaluer les préférences et valeurs des investisseurs particuliers parmi un large éventail de possibilités d’un côté, puis de les faire correspondre de façon automatique avec les produits financiers existants de l’institution financière en question de l’autre.

Il devient alors possible de proposer au conseiller financier et à son client des recommandations financières adaptées aux appétences de ce dernier, compatibles avec l’offre existante, et de s’en servir comme une première base de discussion.

Les théories et algorithmes issus de la finance comportementale semblent particulièrement adaptés pour relever ce défi et permettre ainsi aux investisseurs comme aux institutions financières d’évoluer conjointement vers un nouveau paradigme à même de concilier encore davantage quête de sens, impact positif à long-terme et rentabilité financière.

La finance comportementale pour réconcilier les attentes des investisseurs en matière de finance durable avec l’offre actuelle de produits

Théorisée dans les années 1970 suite aux travaux de Daniel Kahneman (Prix Nobel 2002) et de Richard Thaler (Prix Nobel 2017), la finance comportementale a pour objectif de modéliser la psychologie de l’investisseur.

En effet, nos décisions d’investissement sont fortement influencées par des biais cognitifs (aversion à la perte, mimétisme, hédonisme…) divers qui les éloignent très souvent des décisions rationnelles et égoïstes de l’agent économique Homo Oeconomicus théorisées par les modèles économiques classiques.

Parmi les biais cognitifs qui influencent nos décisions, nos valeurs et nos préférences sociales ont un rôle prépondérant. Gary Charness ou encore Matthew Rabin ont été parmi les premiers économistes à intégrer les préférences sociales dans les modèles de prise de décision financière, dans lesquels l’utilité de l’investisseur est une combinaison de son gain matériel et de son bien-être social.

La recherche sur le sujet de l’impact des préférences sociales dans nos décisions financières a fait depuis l’objet de nombreuses publications jusqu’à devenir un domaine de recherche académique à part entière.

Néanmoins, les applications de ces théories à une meilleure compréhension des valeurs et des préférences des investisseurs restent encore très limitées.

Partant de ce constat et en s’appuyant sur cette riche recherche académique, Neuroprofiler a développé un ESGprofiler, solution permettant d’évaluer les préférences d’investissement des investisseurs particuliers, le tout de manière ludique, et de pré-sélectionner les produits financiers correspondants au sein de leur institution financière.

L’ESGprofiler est également un outil précieux pour les conseillers financiers, qui les aide à prendre conscience de manière à la fois très fine et factuelle de l’appétence de leurs clients pour la finance durable, de déterminer la nature des impacts recherchés par leurs clients ou des secteurs qu’ils souhaitent exclure, et d’obtenir enfin une pré-sélection de produits existants qui correspondent à tous ces critères.

Ainsi accompagnés et outillés, il leur reste encore à accomplir le plus difficile et à la fois l’essentiel de leur mission: convaincre leur client!

Sources

Allianz Life: https://www.allianzlife.com/about/newsroom/2019-press-releases/socially-responsible-investing-and-esg

France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/la-chronique-eco-du-mardi-23-juin-2020

KPMG: https://assets.kpmg/content/dam/kpmg/ie/pdf/2019/10/ie-numbers-that-are-changing-the-world.pdf

Peregrine: https://cdn2.hubspot.net/hubfs/482107/Reports/ESG-Report-2020-Peregrine-Communications.pdf

Schroders: https://www.schroders.com/en/sysglobalassets/_global-shared-blocks/old-campaigns/gis-2018/sustainability/reports/global_investor_study_2018_sustainable_investment_report_english.pdf