Constatations majeures
La prise de décision, y compris dans la sphère financière, est largement modulée par l’automatisme et l’inconscient. Les neurosciences sont essentielles pour étudier les étapes de la prise de décision qui affectent le choix inconscient du sujet.
Les facteurs liés à la présentation de l’information visuelle (couleur, emplacement), plutôt que le contenu, peuvent être déterminants dans le choix.
La neurofinance : qu’est-ce que c’est ?
En tant que discipline relativement récente, la neurofinance associe la finance, les neurosciences et la psychologie pour faire progresser les théories et les connaissances liées à la prise de décision. La majorité des processus neuronaux qui guident les choix, y compris les choix économico-financiers, sont automatiques et inconscients par nature, et sont donc difficiles à évaluer via de l’autoévaluation.
Les neurosciences offrent des méthodes de recherche telles que l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, l’électroencéphalographie, l’oculométrie et la reconnaissance des expressions faciales, qui peuvent éclairer les mécanismes neuronaux de la prise de décision économico-financière.
La prise de décision et les limites du cerveau humain
La prise de décision est un processus cognitif qui peut être défini comme « la capacité de sélectionner une réponse avantageuse parmi un ensemble d’options disponibles ».
Quel que soit le domaine concerné (de l’achat de biens de consommation à la réponse à une élection électorale, en passant par la sélection de produits financiers), les êtres humains doivent composer avec des ressources cognitives, des connaissances et, parfois, une disponibilité de temps limitée. D’où la nécessité de « filtrer » les informations. En effet, notre cerveau navigue rapidement entre celles qui sont jugées les plus pertinentes pour la décision finale et celles qui sont plus détaillées.
En général, le nombre de stimulations est si élevé qu’il est impossible de traiter systématiquement chacune d’entre elles. Les limitations fonctionnelles du cerveau humain ne permettent pas la construction d’une réponse comportementale efficace à chaque stimulus reçu. Au niveau physiologique, émerge donc la nécessité de sélectionner les stimuli sensoriels à prendre en compte afin d’organiser et de stimuler des réponses comportementales qui soient congruentes et efficaces.
En ce sens, tous les stimuli recueillis en continu par le système sensoriel et transférés au cerveau, subissent une sélection avant d’être traités. Le mécanisme qui permet à un stimulus de surmonter cette sélection, au détriment d’autres qui sont inhibés, est celui de l’attention sélective : un processus qui est principalement automatique et partiellement volontaire.
- Dans sa phase automatique, il peut être lié aux caractéristiques intrinsèques des stimuli dérivés des sources observées. Par exemple la forme, la couleur, la localisation ou l’encombrement.
- En revanche, dans la phase où la volonté prend importance, ce sont les aspects motivationnels qui dominent. A savoir les objectifs les attentes de l’individu.
Blocages décisionnels dans le domaine financier
Le secteur financier offre une large gamme de produits et de services financiers qui s’accompagnent d’informations et de documents d’information. Par conséquent, les investisseurs sont continuellement exposés à l’information financière et sont souvent confrontés à des problèmes de surcharge d’information.
Afin d’accroître la transparence et de favoriser la protection des consommateurs, les autorités financières introduisent des documents d’information succincts qui présentent les principales caractéristiques des produits. Ainsi les consommateurs sont en mésure d’évaluer leur qualité.
Ces sommaires sont normalisés dans toute l’Europe, car la cohérence facilite la comparaison, ce qui peut améliorer la prise de décision. La validation des documents d’information se fait généralement en combinant des entretiens qualitatifs et des enquêtes quantitatives auprès des consommateurs, qui sont invités à se prononcer sur la clarté des informations qu’ils reçoivent.
La recherche en neuroéconomie suggère les limites possibles des mesures auto-déclarées et appelle à l’évaluation de la prise de décision en combinant l’économie et la finance avec les théories et méthodologies neuroscientifiques.
Comment étudier le traitement de l’information et le processus d’attention grâce à la neurofinance ?
Ces dernières années, certains chercheurs ont commencé à étudier une étape spécifique de la prise de décision. A savoir le traitement des informations visuelles, en adoptant la technique non invasive de l’eye-tracking.
Capter le processus d’attention visuel avec l’eye-tracking
Le cerveau reçoit en permanence des stimuli de l’environnement, qui sont sélectionnés par des processus automatiques, puis traités et interprétés. Dans le cas des stimuli visuels, les premières réactions motrices, mises en place par le cerveau, impliquent l’activation des muscles oculaires : le regard est ainsi fixé, « focalisant » les images des objets/phénomènes jugés « pertinents », tandis que ceux identifiés comme « bruit de fond » sont exclus du traitement.
On peut affirmer que les mouvements oculaires sont des indicateurs des processus attentionnels et que leur évaluation permet de prédire quelles sont les informations qui influencent le plus la décision finale.
Avec la méthode de l’oculométrie, les mouvements infimes que les globes oculaires effectuent pendant qu’un individu observe un stimulus visuel contrôlé (une image ou un document) sont mesurés de manière non invasive, sûre et objective : nous obtenons ainsi une série de paramètres quantitatifs, tels que le niveau de bruit de fond, l’intensité du bruit de fond, la durée de l’exposition, etc.
Quelques études sur le processus d’attention visuel dans le cadre de la neurofinance et la prise de décision
Dans certaines recherches menées par BrainLine sur des produits d’investissement décrits par le Key Investor Informational Document (KIID) (Ceravolo et al. 2019, 2020), il a été observé comment la mise en page et la couleur des documents d’information affectent l’allocation de l’attention et la perception de l’attractivité du produit par les sujets interrogés. Dans une succession d’informations visuelles ou auditives, la position occupée par un stimulus représente un facteur significatif de la probabilité que celui-ci soit considéré comme l’objet de l’attention et mérite d’être pris en considération.
L’effet d’ancrage est le phénomène par lequel les individus attribuent une valeur déterminante (en vue d’une prise de décision ultérieure) à la première ou à la dernière (l’ancre) d’un ensemble d’informations (Turner & Schley, 2016). De nombreuses études témoignent de l’utilisation de l’ancrage même lors de la prise de décisions dans le domaine de l’immobilier (Lambson et al. , 2004) ou de la finance (Baker et al. , 2016 ; Dougal et al. , 2015).
Dans une étude récente (Ceravolo et al. , 2021), les chercheurs de BrainLine ont étudié le rôle de l’ancrage dans l’évaluation par les sujets de l’attrait des prospectus de comptes courants en lisant et en évaluant une information (Fee Information Document – FID). L’objectif du FID, introduit par la directive sur les comptes de paiement, est d’améliorer la transparence des frais et des informations relatives aux comptes courants.
L’étude, menée sur 70 cas, a confirmé la tendance des sujets interrogés à ancrer leur jugement sur l’attrait du produit à l’information présentée dans le coin supérieur gauche (en l’occurrence la cotisation annuelle), négligeant les autres éléments et prenant ainsi des décisions non rentables dans de nombreux cas. Les sujets ayant un faible niveau d’éducation financière étaient plus susceptibles de recourir à l’heuristique de l’ancrage, fondant leurs décisions sur des évaluations biaisées des informations disponibles.
Processus décisionnels, algorithmes et conseillers : à qui faire confiance ?
Pour faire face à l’abondance d’informations et à leur complexité croissante, les individus décident souvent de s’en remettre à des opérateurs du secteur bancaire et financier. De nombreux chercheurs ont étudié quelles caractéristiques d’apparence, de personnalité ou de comportement du conseiller financier influencent la volonté du consommateur de suivre ses conseils.
En finance, aucune étude à ce jour n’a étudié l’influence du conseiller sur les mécanismes de l’attention visuelle des sujets et la probabilité qu’ils acceptent les conseils qu’ils reçoivent.
Dans une étude récente (Fattobene et al., 2022), on a tenté de combler cette lacune en évaluant la distribution de l’attention visuelle. Les sujets analysaient un document d’information précontractuel sur une demande de prêt à la consommation (le Standard European Consumer Credit Information – SECCI), pendant qu’ils recevaient alternativement des conseils d’un opérateur humain ou d’un algorithme.
Il a été observé que l’attention portée à des centres d’intérêt spécifiques (notamment ceux liés aux coûts) est modulée par le type de conseiller. Les sujets manifestent une répartition différente de l’attention, et en particulier des coûts, lorsque le conseil d’acheter le produit est fourni par un humain plutôt que par un algorithme. Les différents mécanismes d’attention selon le type de conseiller sont suivis d’une tendance différente à faire confiance à l’algorithme, selon que les conditions du contrat sont objectivement avantageuses ou désavantageuses.
Neurofinance et la prise de décision : édité par Maria Gabriella Ceravolo, Gianmario Raggetti, Lucrezia Fattobene, traduit et adapté par Neuroprofiler.