Biais cognitif : éthique utilitaire et émotionnelle

Ethique et investissements durables

L’appétit grandissant des consommateurs pour les produits bio et les investissements révèle le désir de la nouvelle génération de vivre de façon plus éthique et de mieux protéger la planète.

Les investissements verts ont ainsi connu une nette progression ces dernières années et sont à présent étroitement régulés par l’Union Européenne. Avec SFDR et MiIFDII, les produits financiers sont à présent classés selon leur impact social ou environnemental et proposés aux clients en fonction de leurs propres valeurs et éthiques.

Mais comment peut-on décréter qu’un produit financier est éthique ou non ?

Avant la crise de l’Ukraine, les secteurs de l’armement ou de l’énergie nucléaire étaient considérés comme non éthiques par beaucoup de pays européens. En quelques semaines de crise, leur position a changé. La Commission Européenne a débattu de l’intégration du secteur de l’armement dans les produits ESG, afin d’en garantir un accès plus favorable dans le cadre de ce conflit.

L’éthique est-elle universelle ? De Platon à Nietzsche, la question est un topos de la littérature philosophique. Avec l’essor de l’investissement durable, elle est également devenu une question financière.

Dans cet article, nous proposons de donner l’éclairage des sciences cognitives sur cette question. Prenons un exemple concret pour commencer.

Le problème du chariot

Il y a un chariot qui dévale la voie ferrée. Devant, sur les rails, il y a cinq personnes attachés et incapables de bouger. Le chariot se dirige droit vers eux. Vous vous trouvez à une certaine distance de la gare de triage, à côté d’un levier.

Si vous tirez ce levier, le chariot passe sur un autre rail. Cependant, vous remarquez qu’il y a une personne sur cet autre rail.

Vous avec deux (et seulement deux) options:

1. Ne rien faire, dans le cas où le chariot tue les cinq personnes sur le rail principal.

2. Tirer le levier, dans ce cas le chariot change de rail et tue l’autre personne.

Quelle est l’option la plus éthique, selon vous ? Que faites-vous?

Le dilemme du tramway a été le sujet de nombreuses expérimentations scientifiques.

Quand la question est posée d’une manière théorique, environ 90% des répondants choisissent de tirer le levier et de tuer une personne plutôt que 5.

Quand la question est posée dans un contexte réaliste (les participants sont placés seuls dans ce qu’ils pensaient être une station d’échange de trains), la plupart des participants ne tirent pas le levier.

Maintenant, prenons une version légèrement différente du dilemme.

Comme avant, un chariot se précipite vers cinq personnes.

Vous êtes sur le pont qui passe au-dessus des rails.

Un homme obèse se trouve à vos côtés. Il est tellement lourd qu’il suffirait à stopper le chariot attend. Cette personne mourrait et les 5 autres auraient la vie sauve.

Devriez-vous le faire ?

Ici, les comportements changent. La plupart des gens désapprouvent le fait de pousser l’homme pour sauver les 5 personnes.

Quel est le comportement éthique dans ces deux cas ?

D’un point de vue de la philosophie utilitariste, la réponse est mathématique et devrait être exactement la même dans ces deux situations. 5 personnes meurent dans l’option 1. 1 personne meurt dans l’option 2. Un comportement éthique implique de minimiser le nombre de morts. En conséquence, l’option de sauver les vies de 5 personnes est toujours plus la plus éthique.

Selon un autre point de vue, étant donné que des fautes morales sont déjà présentes dans la situation initiale, le fait de changer de rails constitue une participation à la faute morale, ce qui rend une personne partiellement responsable de la mort alors que nous ne serions pas responsables en restant passifs.

Dans le deuxième dilemme, notre part de responsabilité est beaucoup plus évidente. Nous faisons consciemment du mal à quelqu’un.

Ethiques et neuroscience

En 2001, Joshua Greene and co a publié les résultats de la première étude empirique significative des réponses sur le dilemme du tramway, en utilisant une approche neuronale.

En utilisant un fMRI, ils ont démontré que la seconde option implique des régions du cerveau associées aux émotions (notre cortex préfontal ventromedial) alors que la première situation implique des régions du cerveau en charge du raisonnement contrôlé.

Les personnes avec une lésion sur cette partie du cerveau, par exemple, ont tendance à être très utilitaristes et choisissent systématiquement de tuer l’homme de forte corpulence.

Conclusion

En plus de notre culture, de notre éducation et de nos valeurs personnelles, la notion d’éthique dépend aussi du contexte (économique, géopolitique, émotionnel, religieux…). Les sciences cognitives nous apprennent également que l’éthique est aussi liée au fonctionnement de notre système neuronal. En fonction de l’état de notre cortex préfrontal, nous serons plus ou moins sensibles à une éthique utilitariste ou émotionnelle.

L’introduction des notions d’éthique sociale et environnementale dans la classification des produits durables à l’échelle européenne et, demain, mondiale, nous réserve donc bien des débats animés !

Reference

Moll, J., & de Oliveira-Souza, R. (2007). Moral judgments, emotions and the utilitarian brain. Trends in cognitive sciences, 11(8), 319-321.