Que sont les notations ESG ? Et pourquoi semblent-elles souvent être décorrélées de la réalité ?
- En novembre 2022, après la décision du ministère du travail colombien d’ouvrir une enquête contre Téléperformance, le cours de l’entreprise française de centres d’appel baisse de 34%.
- En janvier 2022, le cours du groupe Orpea chute suite aux révélations sur les pratiques du groupe.
Dans les deux cas, des notations ESG (Environnement, Société, Gouvernance) bonnes voire très bonnes étaient attribuées aux entreprises. Dans le monde de la RSE, les scandales impliquant des entreprises considérées comme exemplaires s’accumulent. En 2010, c’était le cas de BP avant l’explosion de sa plateforme pétrolière Deepwater Horizon [1]. En 2015, c’était également le cas de Volkswagen avant le scandale du « Dieselgate » [2].
Vous trouverez la réponse à ces questions au cours de cet article.
Qu’est-ce qu’une notation ESG ?
Une notation ESG est une note, souvent sous la forme de lettres (AAA, B+, etc), qui prétend représenter la performance globale d’une entreprise – la plupart du temps d’une entreprise cotée – dans trois domaines : l’environnement, la société et la gouvernance. Elles sont émises par des agences de notation ESG telles que MSCI, ISS, Vigeo Eiris ou encore Sustainalytics. Afin d’être plus précises, ces agences notent par « pilier » – une note E, une note S et une note G.
En pratique, pour faire ces notes, les agences se basent sur un ensemble d’indicateurs. Par exemple :
- Les émissions de gaz à effet de serre (GES) scope 1 sont un indicateur environnemental
- Le taux d’accident du travail par heure travaillée est un indicateur social
- Le pourcentage d’administrateurs indépendants est un indicateur de gouvernance
Ces indicateurs sont ensuite regroupés par sous-catégorie et permettent de déterminer des notes intermédiaires. On peut par exemple imaginer que les émissions de GES scope 1 sont utilisées pour déterminer une note « Impact climatique ». Ou que le taux d’accident de travail soit pris en compte dans une notation « Conditions de travail ». Une fois les notes par sous-catégorie déterminées, il reste à décider d’une pondération de chacune d’entre elles dans son pilier respectif. On en déduit une notation environnementale, une notation sociale et une notation de gouvernance. En attribuant une fois de plus une pondération à chacun de ces piliers, on obtient finalement une note ESG globale.
Différentes méthodologies pour les notations ESG
Nous avons vu que les notes ESG étaient des moyennes pondérées d’indicateurs variés. Cette pratique de rassemblement peut être critiquée en soit car elle conduit à des équivalences discutables. Par exemple, comment justifier qu’une entreprise puisse compenser une hausse des accidents de travail par une baisse des émissions GES ?
D’ailleurs, les agences de notation elles-mêmes ont tendance à ne pas être d’accord entre elles sur ces relations d’équivalence, et ces désaccords conduisent à une critique récurrente – les notes ESG divergent en fonction des agences émettrices [3].
En d’autres termes, une même entreprise peut être très bien notée par une agence de notation et très mal notée par une autre au même moment. Ci-dessous, nous tentons d’expliquer qu’une grande partie de ces divergences de résultat viennent en fait de divergences de méthodologie.
Le choix des indicateurs
Le premier élément sur lequel les méthodologies des agences de notation divergent concerne le critère de sélection des indicateurs d’intérêt. En effet, en fonction du secteur d’activité de l’entreprise évaluée, les indicateurs à sélectionner ne sont pas les mêmes.
Par exemple, des indicateurs relatifs à la santé des consommateurs seront considérés plus importants dans une entreprise de l’agro-alimentaire que dans une entreprise du secteur IT. Pour chaque secteur, les agences de notation doivent donc se prononcer sur la matérialité des indicateurs. C’est notamment ce que fait MSCI dans son « ESG Industry Materiality Map » [4].
Or, la notion de matérialité des sujets ESG ne fait pas consensus. Alors que la plupart des agences de notations privilégient les risques « financièrement pertinents », c’est-à-dire une approche en matérialité simple, l’Europe met en avant l’approche de la double matérialité.
« Les notations ESG de MSCI évaluent la résistance des entreprises aux risques environnementaux, sociaux et de gouvernance à long terme et financièrement pertinents. »
Le choix des pondérations pour les notations ESG
Une fois les indicateurs d’intérêt déterminés, il faut ensuite décider de la manière dont ils influenceront la note finale.
En pratique, cela se fait par l’attribution à chaque indicateur d’une pondération dans la note finale. Or, une fois de plus, l’attribution de cette pondération est sujette à débat. Par exemple, comment peut-on se prononcer sur l’importance relative de la biodiversité par rapport à l’égalité homme-femme ? Une fois encore, la plupart des agences de notation répondent à cette question par la matérialité simple. Plus un risque ESG est susceptible de se matérialiser financièrement, plus il est important, et plus il doit donc faire l’objet d’une pondération élevée dans la note finale. Nous revenons une fois de plus au débat sur la double matérialité.
La gestion du manque de transparence
Enfin, un problème majeur des agences de notation ESG est le manque de transparence des entreprises évaluées sur des sujets matériels.
En effet, un indicateur ESG étant considéré comme matériel et faisant l’objet d’une pondération importante dans la note finale peut ne pas être dévoilée par l’entreprise évaluée. La pratique à adopter dans ce cas est alors, encore une fois, sujette à débat. Dans de telles circonstances, certaines agences choisissent de donner la note médiane, tandis que d’autres choisissent de donner la note la plus basse afin de pénaliser l’entreprise pour son manque de transparence.
Des notations financières ou extra-financières ?
Il est courant de faire référence aux notations ESG comme des notations extra-financières. C’est notamment la terminologie employée par le ministère de l’économie français [5]. Or, comme nous venons de le voir, la majorité des notations ESG sont faites en prenant uniquement en compte des indicateurs financièrement pertinents. En pratique, ce sont donc des notations de risque financier.
Ce constat pose alors un problème. Si les notations ESG, et les indicateurs ESG sous-jacents, permettent effectivement de rendre compte d’un risque financier, alors cela implique que les états financiers classiques ne sont pas exhaustifs. Dans le cas contraire, c’est-à-dire dans le cas où les notations ESG rendent compte d’un risque financier déjà pris en compte dans les états financiers, alors elles sont inutiles car elles ne font que répéter une information déjà existante.
Conclusion sur les notations ESG
Les notations ESG sont des notes prétendant représenter la performance globale des entreprises sur l’ensemble des sujets sociaux, environnementaux et de gouvernance.
En pratique, la majorité d’entre elles ne prennent en réalité en compte que les risques financièrement pertinents. De ce fait, un écart avec les risques sociaux et environnementaux réels a tendance à se créer, et se matérialise au moment de différents scandales (Orpéa, Téléperformance, etc).
Face à ce constat, l’appellation « notation extra-financière » est à remettre en question puisque les notations ESG sont en réalité faites pour rendre compte d’un risque financier. Cela pose alors un autre problème. Si les notations ESG servent à identifier des risques financiers, cela signifie que les états financiers ne sont pas exhaustifs. Dans le cas contraire, cela signifie qu’elles ne servent à rien.
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Ressources
- [1] Reuters Events, Beyond petroleum: Why the CSR community collaborated in creating the BP oil disaster https://www.reutersevents.com/sustainability/stakeholder-engagement/beyond-petroleum-why-csr-community-collaborated-creating-bp-oil-disaster
- [2] Harvard Law School Forum, Ratings that Don’t Rate: The Subjective World of ESG Ratings Agencies https://corpgov.law.harvard.edu/2018/08/07/ratings-that-dont-rate-the-subjective-world-of-esg-ratings-agencies/
- [3] SSRN, Aggregate Confusion: The Divergence of ESG Ratings https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3438533
- [4] MSCI, ESG Industry Materiality Map https://www.msci.com/our-solutions/esg-investing/esg-industry-materiality-map
- [5] Faciléco – Ministère de l’Économie et des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique, La notation extra-financière https://www.economie.gouv.fr/facileco/notation-extra-financiere#:~:text=Les%20agences%20de%20notation%20traditionnelles,environnementaux%20ou%20sociaux%20des%20entreprises.