Interroger les investisseurs sur leurs préférences en matière d’investissement durable devient obligatoire à partir d’août 2022. Cette obligation s’applique pour toute institution financière ayant des activités de conseil, sous ESMA (MiFIDII) tout comme sous EIOPA (DDA).
La notion de « préférences en matière de durabilité » fait plus précisément référence à un produit financier qui répond à au moins un des trois critères ci-dessous :
- est investi dans des investissements durables sur le plan environnemental, tels que définis à l’article 2, paragraphe 1, du règlement (UE) 2020/852 (taxonomie européenne), dans une proportion minimale déterminée par le client ou client potentiel
- est investi dans des investissements durables au sens de l’article 2, paragraphe 17, du règlement (UE) 2019/2088, dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel
- traite les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui le démontrent étant déterminés par le client ou le client potentiel.
Le 27 janvier 2022, l’ESMA (MIFIDII) a publié une consultation pour proposer des lignes directrices sur la manière d’intégrer l’évaluation des préférences en matière de durabilité dans le processus d’adéquation.
La consultation s’est clôturée le 27 avril 2022 et le rapport final est attendu pour le troisième trimestre 2022. La version finale devrait être publiée en juillet 2022, juste avant l’obligation règlementaire. Le 13 avril 2022, l‘EIOPA (DDA) a également lancé une consultation sur le sujet, qui a pris fin le 13 mai.
Confrontées à une règlementation complexe et polémique, les deux autorités ne semblent pas partager la même vision sur tous les points de la nouvelle règlementation.
Nous comparons ci-dessous leurs principaux points communs et différences de ces deux consultations.
Similitudes principales
- A quel moment collecter les préférences en matière de durabilité ?
Les deux consultations s’accordent pour que la collecte des préférences en matière de durabilité intervienne suite à l’évaluation traditionnelle du profil de risque (expertise financière, objectifs d’investissement…).
Ces informations doivent être mises à jour régulièrement, en même temps que la mise à jour des autres éléments relatifs au profil de risque.
- Éducation financière sur l’investissement durable
Un autre point de convergence est qu’une définition des préférences en matière de durabilité doit être incluse en amont des questionnaires d’adéquation MiFIDII ou DDA.
Les termes techniques doivent être évités autant que possible.
- Processus si aucune préférence pour la finance durable n’est exprimée par le client
Lorsque le client n’exprime aucune préférence en matière de durabilité, la décision doit être enregistrée et l’entreprise financière peut procéder à une recommandation soit durable, soit non durable.
- Correspondance avec le produit durable
Si aucun produit ne correspond aux préférences de durabilité du client, celui-ci doit être invité à modifier ses préférences en matière de durabilité.
- Une approche non biaisée
Enfin, dans les deux consultations, les régulateurs insistent sur le fait que la collecte des préférences en matière de durabilité doit se faire de manière non biaisée.
Cette recommandation fait échos aux dernières orientations de l’ESMA en 2018 qui conseille l’utilisation de la finance comportementale pour éviter d’évaluer la tolérance au risque des client de manière biaisée.
Différences principales
- Base de référence pour collecter les préférences en matière de durabilité
Dans le cas de recommandation de portefeuille, le calcul d’impact durable doit-il se faire au niveau de l’instrument financier ou du portefeuille ?
Les deux orientations semblent avoir des approches différentes sur cette question.
Sous MIFIDII :
« Lorsque le client souhaite inclure un ou tous les aspects mentionnés aux points a) à c) de l’article 2, paragraphe 7, de l’acte délégué MiFID, cela peut être évalué soit au niveau du portefeuille, soit au niveau de l’instrument financier, en fonction du service rendu. »
Sous DDA :
« Afin de collecter des informations sur la proportion minimale investie dans des investissements durables tels que définis dans la Taxonomie, les entreprises et intermédiaires d’assurance doivent demander au client si l’alignement sur la taxonomie doit être basé sur tous les investissements du produit d’investissement fondé sur l’assurance, ou uniquement sur les actifs qui ne sont pas basés sur des obligations d’État. »
- Auto-évaluation
Dans les orientations de 2018, l’ESMA met en garde contre l’utilisation de l’auto-évaluation pour évaluer les préférences d’investissement des clients, notamment la tolérance au risque et les connaissances financières.
Néanmoins, dans sa consultation sur l’évaluation des préférences en matière de durabilité, l’approche suggérée pour le moment est justement celle de l’auto-évaluation.
L’EIOPA ne se prononce pas sur ce point, promouvant uniquement une approche « non biaisée » de cette évaluation.
- Utilisation de fourchettes pour capturer l’alignement sur la taxonomie et sur SFDR
Les produits ESG actuellement disponibles sur le marché ont un degrés d’alignement à la taxonomie très faible (avec un maximum de 5% à 20% chez la plupart des distributeurs).
Or, dans la nouvelle règlementation, le client devra donner le pourcentage de son investissement qu’il souhaite aligné avec la taxonomie, sans être biaisé dans son choix. Ainsi, il est probable que beaucoup d’investisseurs choisiront un pourcentage d’alignement maximal à 100%.
Il sera alors impossible de leur recommander des produits adéquats, et ces derniers devront donc modifier leurs préférences en matière de durabilité en conséquence.
Un tel processus risque d’être source de beaucoup de frustration auprès des clients.
L’utilisation de fourchettes larges du type « 0 à 10% » ou « 20% à 100% » permettrait de limiter ces inadéquations.
Néanmoins, l’EIOPA indique dans ses orientations que de telles fourchettes fermées ne doivent pas être utilisées, et prend plutôt comme exemple des fourchettes ouvertes (ex : minimum de 10 %, minimum de 20 %,…).
Dans sa session de Open Hearing, l’EIOPA a précisé que ces fourchettes ouvertes ne devaient pas se limiter aux pourcentages d’alignement des produits disponibles dans l’institution financière, mais devait bien couvrir tout le spectre des 30%, 40%, 50%…
L’ESMA, au contraire, ne s’exprime pas sur ce point.
- Collecte des principales incidences négatives
L’acte délégué mentionne qu’un instrument financier peut être considéré comme un produit durable s’il « traite les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui le démontrent étant déterminés par le client ou le client potentiel ».
L’EIOPA précise ce point en indiquant que le client doit non seulement sélectionner les principales incidences négatives qu’il souhaite prendre en considération dans son investissement, mais également expliquer pour chacun d’eux les critères quantitatifs ET qualitatifs démontrant cette prise en compte.
L’ESMA ne précise pas de son côté si ce sont des éléments qualitatifs ET ou juste OU quantitatifs qui doivent être collectés pour chaque principale incidence négative.
Par contre, dans les deux orientations, l’utilisation de méta-catégories de principales incidences négatives est autorisée.
Conclusion
Cette courte introduction à ses deux orientations montre la complexité de la mise en œuvre de la nouvelle règlementation sur les préférences en matière de durabilité.
A deux mois de son application, les régulateurs semblent eux-mêmes incertains de l’interprétation pratique à donner aux textes européens.
Un bel été règlementaire s’annonce pour les institutions financières européennes !