Interroger les investisseurs sur leurs préférences en matière de durabilité devient obligatoire à partir de l’été prochain, suite à la publication l’an dernier d’un acte délégué.
Le 27 janvier 2022, l’ESMA a publié une consultation sur un guide d’orientation détaillant les bonnes et les mauvaises pratiques sur le sujet.
La consultation s’achèvera le 27 avril 2022 et le dernier rapport est prévu pour Q3 2022.
Nous analysons dans cet article les problématiques que soulèvent cette nouvelle publication pour les institutions financières européennes.
Contexte
Pierre angulaire de la protection de l’investisseur, l’évaluation des préférences d’investissement a été au cœur de la réglementation MIF depuis ces débuts.
Jusqu’à présent, MIF imposait aux sociétés de conseil européennes l’évaluation de la tolérance au risque des clients, des objectifs d’investissement, de l’expertise et de la situation financière du client.
A partir de l’été prochain, s’ajoute à ces obligations l’évaluation des préférences des investisseurs en matière de durabilité.
Les “préférences en matière de durabilité” font référence à un de ces trois critères :
- un instrument financier qui est investi dans des investissements durables sur le plan environnemental au sens de l’article 2, point 1), du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil* dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel
- un instrument financier qui est investi dans des investissements durables au sens de l’article 2, point 17), du règlement (UE) 2019/2088 du Parlement européen et du Conseil** dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel
- un instrument financier qui prend en compte les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui démontrent cette prise en compte étant déterminés par le client ou le client potentiel
Fin janvier, l’ESMA a publié un guide d’orientation détaillant les bonnes pratiques pour récolter ces préférences. La période de consultation pour ces orientations prendra fin le 27 avril 2022.
Cette nouvelle règlementation pose un double problème de calendrier et de granularité.
Une problématique de calendrier
Suite à cette période consultation, l’ESMA devrait publier un rapport final en Q3 2022.
Or, l’obligation d’évaluer les préférences ESG des clients est prévue pour le mois d’août, si la date n’est pas décalée d’ici là. Cela signifie que les institutions financières devront mettre en place cette obligation en l’absence de la version définitive des orientations.
Le second problème de calendrier est que la taxonomie européenne n’est pas encore finalisée et que l’information ESG sur les produits financiers n’est pas encore disponible pour la plupart des institutions financières. Elle devrait l’être d’ici 2024. Cela signifie que les institutions financières devront, en attendant, trouver des proxys pour classer leurs produits selon leur alignement à la taxonomie ou sur les principales incidences négatives, afin d’être conformes aux exigences MiFIDII.
Une problématique de granularité
Une autre problématique est que la nouvelle règlementation MiFIDII exige une très fine granularité de collecte des informations sur les préférences ESG.
Si nous prenons simplement l’exemple des 18 principales incidences négatives que le client peut choisir, nous arrivons déjà à 2018 combinaisons possibles… donc environ 200 000 options, sans parler du pourcentage d’alignement aux points a) et b) avec, théoriquement, une granularité de 1 à 100.
Même si les orientations indiquent que des regroupements de PAIs peuvent être envisagés, l’industrie est très loin d’avoir aujourd’hui une offre de produits ESG pouvant répondre à ce niveau de personnalisation.
Si la règlementation est appliquée à la lettre, les institutions financières devront donc dans la majorité des cas expliquer à leurs clients que le produit recommandé ne correspond pas à leurs préférences en matière de durabilité et les inviter à les modifier.
Une pratique qui risque d’être source de frustration pour un client qui vient de passer 10 minutes à répondre à un questionnaire complexe sur le sujet.
La réaction des institutions financières
Face à cette situation, nous constatons différentes réactions de nos clients.
Certaines institutions font le choix de se focaliser sur du lobbying auprès du régulateur afin de décaler la mise en place de cette règlementation ou d’en simplifier les exigences.
D’autres décident de n’implémenter qu’une partie de l’obligation, en posant par exemple une question binaire du type « Souhaitez-vous avoir un impact environnemental ou social dans votre investissement ? » afin de pouvoir recommander un produit adéquat à leurs clients dans le cadre de leur offre actuelle.
D’autres enfin décident d’appliquer au mieux la nouvelle règlementation. En l’absence de données finalisées sur les produits, ces derniers utilisent des proxys pour les point a) b) et c). Ces derniers sont conçus soit en interne, soit via des partenaires Fintechs.
En fin de parcours, le produit ESG répondant au mieux aux attentes du client est recommandé. Les clients sont alors avertis que l’offre proposée ne répond pas à toutes leurs exigences ESG dans les détails, mais s’en approche au mieux.
En ligne avec les recommandations de l’ESMA, le client est alors invité à modifier ses préférences ESG afin qu’elles soient en ligne avec le produit proposé.
Les sociétés de conseil en investissement vont donc devoir faire preuve d’une certaine créativité ces prochains mois pour s’adapter à cette délicate phase de transition réglementaire.